Sunday, October 29, 2006

UNE SEANCE DE TORTURE AU TOGO


UNE SÉANCE DE TORTURE AU TOGO


Le livre a pour titre “ Lutter pour ses droits au Togo” et révèle dans ses pages 66 à 72, l’arrestation de son auteur par les bourreaux d’Eyadéma, le Président défunt du Togo, surnommé le “Dieu de la Terre” par ses admirateurs. C’était le 22 août 1990, soit plus de 16 ans maintenant, mais les souvenirs restent vivaces, car rien ne semble avoir changé au Togo depuis ce temps, même après la mort du Général Président et même après la « reprise » du pouvoir par son fils Faure Gnassinbgé, suite aux dernières élections d’Avril 2005 ou le monde entier a pu voir en direct sur les écrans de télévision, les militaires togolais emporter au pas de course les urnes de vote, et aller remettre la victoire à leur préféré, après avoir tiré dans la population et fait fuir le pays à prêt de 47 000 de leur compatriotes.
Nous nous permettons de reprendre avec l’accord de Hilaire LOGO DOSSOUVI l’auteur du livre, l’enfer qu’il a connu après son arrestation par les sbires de la police politique togolaise :

« - Dans la soirée du 22 août 1990, Laurent Aboley, Paulin Aboley, Josué Kossi Efoui, Agbelenko Doglo, Boda Alpha, Kara Koro, Nabine Ouyi, Sassou, Hope Kalépé, Têko Yovodevi et moi-même, Hilaire Dossouvi Logo, avons été arrêtés par la police politique d’Eyadéma. Mon calvaire commença ce soir-là. J’étais alors à la maison en train de mettre en forme le premier jet d’une allocution que je devais prononcer une semaine après à Tokpli, à l’occasion de la 4e célébration de la fête traditionnelle du Yoto. Vers 19H30, des inconnus ont fait irruption dans mon salon, en me demandant abruptement si j’étais bien Hilaire. Je réponds que oui. Ils se précipitèrent aussitôt sur moi pour me menotter, avant même que de me montrer leur carte de police. C’était un pot pourri de la gendarmerie, la police, l’armée. Je reconnus les commissaires Dogbévi, Karkassa et Palanga, qu’accompagnaient une vingtaine de brutes. Ils avaient investi le quartier, en plus de ma maison. Notre domicile fut mis sens dessus dessous durant des heures, jusqu'à 2 heures du matin, évidemment sans mandat. Infructueuses, les recherches prirent fin sur une note visible de déception de mes « assaillants ». Néanmoins ils m’embarquèrent à bord d’une Renault 18 bleu marine avec escorte, indifférents aux pleurs de ma famille et aux questions de ma femme qui voulait savoir ou l’on me conduisait.
Cette même nuit, tous mes camarades de la « coordination » ainsi que 2 cellules d’étudiants ont été arrêtés dans les mêmes conditions, et enfermés individuellement dans les cachots de la DRG (Division des Renseignements Généraux) à Akodessewa, un quartier périphérique de Lomé - centre de torture connu. Au début j’ignorais l’arrestation et la détention de mes camarades. Mon interrogatoire a duré toute la nuit. Entamé par le commissaire Dogbevi, il se poursuivra avec palanga relayé par Lamboni. Les premières questions concernaient mes « relations avec les étudiants de l’Université du Bénin », puis mes « activités à Lomé », puis si j’avais « quelque chose » à me reprocher ? Un tel questionnement marqué par les insinuations était connu des opposants et je n’ai pas répondu. Nous tournions autour du même pot lorsque je demandais à Lamboni si je pouvais téléphoner à mon avocat. Colère irrépressible de mon questionneur ; « Ton avocat ! Tu ne sais pas ce qui t’attend ! Si ton avocat vient ici, je le coffre. ». Quelques minutes plus tard, on fit passer devant moi notre camarade Hope Kalépé, menotté et torse nu. Lamboni me demanda si je le connaissais. Je me crus obligé de répondre par l’affirmative.
Un homme de petite taille fit alors son entrée, et mes geôliers se levèrent quand il traversa la salle pour rejoindre un bureau au fond. Le commissaire Dogbévi me conduit alors devant lui : pantalon kaki, chemise jaune à rayures noires, visage ovale, balafré des tatouages yorouba dits « odjouo lêgba ». Il s’agit bien d’Antoine Pitalounani Atakora Lao-Kpessi, le patron de la sureté togolaise, connu par la rue comme « le roi de la torture ». C’est aussi l’homme de confiance du Président. Cette nuit-là, il se contenta d’informations générales sur ma personne puis s’en alla. Apres quoi, on m’attacha au lit de garde, sous haute surveillance jusqu’au lever du jour. Le roi de la torture revint vers 7h30-8h, suivi d’une quinzaine d’hommes – policiers, gendarmes, militaires, tous en uniforme. Parmi eux, le cruel Alaza – policier commando de la garde présidentielle et chef des « escadrons de la mort » - qui promit de me « manger une de ces nuits, à minuit »… Les commissaires Palanga, Karkassa, l’officier de police- adjoint Lecoutey étaient présents. Une demi-heure après leur arrivée, une série interminable de hurlements traversa l’air. Il s’agissait des frères Aboley (Laurent et Paulin).
Avant mon second interrogatoire à la DRG, on me conduisit dans une salle de conférences, face à 5 individus assis, de mine patibulaire, qui me fixèrent longuement. La salle close était dans une demi- obscurité, conditionnement psychologique requis sans doute avant tout interrogatoire maison. Je m’efforçais de rester calme, de dominer mes appréhensions, tout en présentant une figure de marbre à mes ennemis. Ce n’était pas si facile car j’avais face à moi une rangée de crânes rasés, de mains aux doigts garnis d’anneaux rouges, noirs argentés – y aurait-il des sorciers maléfiques dans la salle ? Apres cette séquence de film d’horreur, je fus précipité dans la salle des tortures. En chemin, je croisai Têko Firmin Yovodevi qui en apparence n’avait pas été torturé. Il sembla me plaindre. Les hurlements des frères Aboley avaient cessé, faisant place à un lourd silence.
La première question du capitaine Lao Kpessi a trait à mes relations avec les étudiants et l’ensemble du monde universitaire. Puis il me met en garde : je n’ai plus lieu de nier quoi que ce soit, « bêtement ». J’ai donc admis mes « activités » concernant les étudiants à ma connaissance détenus ce jour-là : Hope Kalépé, Têko Yovodevi, Paulin Aboley et Laurent Aboley. Le « roi de la torture » signifia alors qu’ils avaient « tout avoué » et que si je niais les évidences, j’en souffrirais inutilement. Puis on me déshabilla, au milieu d’une pluie de questions sur la CDPA. L’équipe de tortionnaires savait que j’étais le responsable de la « coordination » et que les cellules étaient « cloisonnées », avec impossibilité de remonter aux autres éléments sans me faire parler. J’avouai sans mal mon appartenance à la CDPA, et mon « traitement » commença à se durcir aux fins d’obtenir la liste de mes compagnons. J’ai été d’abord frappé violemment : cordelettes, coups de pied, coups de poings, bâton… A défaut d’obtenir des noms, mes tortionnaires voulaient les procès-verbaux de nos réunions. « Mais nous n’en faisons jamais ! », fut ma réponse. Et les fiches de présence ? « Mais, nous n’établissons pas de tels documents inutiles ! ». M. Lao- Kpessi s’énerve alors et demande qu’on fasse « briller le soleil » - selon ses propres termes. Un jeune gendarme en uniforme (son chauffeur) s’approche de moi avec un générateur à manivelle rotative, connecté par deux fils électriques à deux pinces dentelées que les bourreaux vont accrocher au gré de leur cruauté à mes deux index, à mes bras, à mes jambes, à mon sexe, aux mamelons de mon torse, à mes oreilles… Les décharges parviennent jusqu'à la tête, donnant l’impression que son cerveau va jaillir du crâne… La douleur est intense, fulgurante, inoubliable. La vie s’arrête. Chaque « séance » peut durer entre 2 et 5 minutes, une éternité… Le torturé hurle comme une bête.
Mon calvaire a duré trois heures. Ils voulurent ensuite la liste des membres de la CDPA et les noms de « vos commanditaires ». Vers 12 h30, ce vendredi-là l’enfer s’arrêta pour moi dans les locaux de la DRG, après notre visite au cabinet d’expertise de Lucas Afantchawo. Ici je souligne incidemment que la photocopieuse de cet homme ne lui a pas été restituée, comme d’ailleurs mes précieux ‘ instruments de travail’ : machine à écrire, appareil photos, une dizaine de livres de tous genres, emportés à tout jamais sans doute par l’équipe de perquisition. Hélas, la torture reprit de plus belle dans l’après-midi vers 16h, cette fois à la Sûreté Nationale, dans le bureau du capitaine Lao-Kpessi. Cet après-midi-là, à propos des noms ‘Agbéyomé’ et deux autres, on tourna la ‘gégène’ – le nom utilisé dans l’armée française durant la guerre coloniale en Algérie, quand la ‘torture’ connaissait un grand ‘développement’ – jusqu'à ce que je perde connaissance… En retrouvant mes esprits, des pensées surgissaient : « Un couard meurt plusieurs morts, tandis qu’un courageux ne meurt qu’une fois. Tu seras un brave si tu parviens à transcender la peur ».
Dans les locaux de la direction de la Sûreté Nationale, j’ai pu voir les camarades interpellés et la, bonne surprise ! seule l’équipe de coordination et 2 cellules étudiantes avaient été ‘harponnées’ – les autres équipes de quartier et du campus (soit une cinquantaine au total), ainsi que nos sympathisants à l’intérieur du pays et les réseaux des professeurs Gnininvi, Sassou et Gayibor n’avaient pas été touchés.
L’opinion nationale et internationale sensibilisée déjà à l’époque du danger inhérent à toute arrestation au pays de Gnassingbé Eyadéma, se mobilisa pour nous sortir des griffes de nos bourreaux. Dès mon arrestation, ma famille avait entamé ses recherches afin d’identifier le lieu de ma détention, mais sans résultat durant toute une semaine. A plusieurs reprises, s’étant rendue à la Sûreté, on lui répondit que nous n’y étions pas. Angoissée à juste titre, mon épouse avait alors saisi la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) par l’entremise de Me Agboyibor, qui chargea la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) alors présidée par Me Kokou Kofigoh de mener une enquête sur notre traitement. Le régime tenta alors de corrompre les camarades torturés en achetant leur silence. Il visait à médiatiser ensuite les « affabulations et mensonges de la LTDH », afin de lui ôter son crédit à l’étranger notamment. Malgré un second rapport de la CNDH niant notre torture et signé du vice-président Assouma, qui venait contredire le premier rapport signé de Me Agboyibor, l’opinion publique nationale et internationale savait à quoi s’en tenir. Malgré les rapports mensongers des experts médicaux, sous la férule du Docteur Bissang – l’homme du pouvoir au Pavillon militaire du CHU-, qui s’opposaient aux conclusions des organisations des Droits de l’Homme impliquées dans le dossier, il fut reconnu que 4 des prévenus avaient été bel et bien torturés. J’en ai encore les séquelles.
A la demande de ma famille, l’enquête diligentée par la CNDH à travers la Ligue, en vue d’élucider les conditions de notre arrestation et de notre détention, a révélé combien le régime Eyadéma était ‘infréquentable’, condamnable par les démocraties occidentales. Le pouvoir était acculé par les interpellations médiatisées du directoire de la CDPA, via les prises de parole de Daniel Kouéviakoué et Isidore Latzoo, relayées par le travail de taupe des professeurs Gnininvi, Francois Gayibor et Bertin Sassou, les dénonciations et nombreux rappels à l’ordre de la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) par la voix de son président Patrick Baudoin, les alertes d’Amnesty International par la voix de Gaetan Mootoo… ».

Commentaire :

Au Togo, le problème de l’impunité reste crucial et sans solution encore à ce jour. Les assassins de Tavio Amorin (paix à son âme), de Gaston Edeh, du Colonel Tépé et de beaucoup d’autres togolais sont connus mais jamais traduits devant un tribunal, et pour cause : la justice n’est pas encore indépendante dans ce pays. Le dialogue intertogolais initié le 21 avril 2006 entre les participants à l’élection présidentielle d’Avril 2005, s’il souligne dans son communiqué final la nécessité de résoudre le problème de l’impunité, déçoit déjà par le contournement qu’il fait ne serait-ce que des approches de solutions a cette impunité en la rendant caduque par l’amnistie qu’il accorde par avance aux assassins du peuple. C’est dire que l’impunité a de long jours devant lui au Togo et que la vraie réconciliation entre le peuple et son armée ne se fera probablement jamais si les tenants actuels du pouvoir doivent rester en place, eux qui n’y sont justement que par la force des armes. Aux dernières nouvelles, environ 17 000 réfugiés togolais se trouvent encore au Bénin voisin et au Ghana par peur de l’insécurité qui règne encore au Togo et par manque de confiance au gouvernement en place. Il est déplorable que ce trouble politique et social n’empêche pas la communauté internationale et surtout l’Union Européenne de s’acharner à travailler avec les assassins qui actuellement dirigent le Togo.

- Pour se procurer le livre « Lutter pour ses droits au Togo » de Hilaire LOGO DOSSOUVI, prière visiter : http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=18428
- Pour toute aide financière de 100 dollars (et plus) à l’Organisation Non- Gouvernementale des droits de l’Homme :
LA QU@RANTAINE INC, vous recevrez gratuitement un exemplaire du livre « Lutter pour ses droits au Togo » de Hilaire LOGO DOSSOUVI.
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